CRISE
AMÉRICANO-CORÉENNE :
ROBERT CHARVIN donne son point de vue à INITIATIVE
COMMUNISTE.
Doyen honoraire de la Faculté de droit de Nice,
militant communiste, auteur d’un livre récent paru chez Delga (Comment peut-on être Coréen du nord ?), Robert
Charvin livre son analyse sur la situation dans la péninsule coréenne aux lecteurs
d’Initiative communiste, journal
du PRCF.
Initiative Communiste : Votre ouvrage s’inspire de la
question de Montesquieu “ Comment peut-on
être persan? ” La façon de traiter la Corée du Nord dans l’espace médiatique en
France, fondée sur les préjugés, n’est-elle pas indigne de l’esprit d’examen
propre aux Lumières ?
Robert Charvin : Montesquieu ironisait sur les incultes ethnocentristes de son temps qui ne
concevaient pas que l’on « puisse être
persan » ! Quelques siècles plus tard, il en est de même au sein de la «
patrie » des droits de l’homme (en réalité, l’homme occidental) dont les
valeurs seules sont « universelles ».
Les Autres n’ont que des
leçons à recevoir du haut de notre grandeur éternelle : les « Trumpistes »
français ont précédé les Américains!
Les pays qui ne s’alignent pas sont dans l’erreur et leurs gouvernants des voyous dangereux pour le monde !
Les pays qui ne s’alignent pas sont dans l’erreur et leurs gouvernants des voyous dangereux pour le monde !
À Paris, comme à
Washington, on sait que la seule démocratie qui vaille est élective, peu
importe que l’argent ou la violence (selon les pays) décident des résultats.
Quant aux droits économiques et sociaux, ils n’ont pas à être pris en compte
pour procéder à l’évaluation… et aux sanctions contre les régimes qui «
déplaisent » ! Les Euraméricains, maîtres (provisoires) du monde,
s’autoproclament ainsi juges du « Bien et du Mal » dans l’ordre international. Les principaux médias
et les partis suivent sans examen ces jugements de cour. La Corée du Nord fait consensus : elle
serait l’incarnation de la malfaisance, bien que nul de fasse allusion à la
tragique histoire nationale (colonisation japonaise féroce, guerre américaine dévastatrice,
embargo et sanctions à répétition depuis 1953, etc.). Rares sont ceux qui connaissent
son syncrétisme idéologique fait de marxisme et de confucianisme. Pour se
conforter dans leur « bon droit », nombre d’Occidentaux préfèrent ne pas savoir
!
Initiative Communiste : Dans votre ouvrage, vous rappelez certaines réalités de l’histoire coréenne
(un ambassadeur coréen se suicidant dans l’indifférence générale devant les
grandes puissances entérinant la colonisation de son pays par le Japon, un seul
immeuble debout à Pyongyang après les bombardements US pendant la guerre de
Corée etc.). Est-ce cette histoire tragique qui explique la résistance
patriotique farouche que la RPDC oppose toujours à l’impérialisme?
Robert Charvin : Maltraiter un peuple, comme l’a été le peuple soviétique dès la Révolution
d’Octobre, le peuple palestinien depuis plus d’un siècle, le peuple cubain
après 1958, ou le peuple nord-coréen, c’est provoquer en leur sein ce qu’on
peut appeler un « effet citadelle ». Assaillis de toutes parts, par tous les
moyens, menacés d’agression militaire, mis en difficultés économiques,
discrédités par les puissances médiatiques dans l’opinion internationale, ces
peuples ne peuvent qu’avoir une réaction défensive faite d’un patriotisme
virulent, d’une mobilisation farouche, d’un monolithisme sans faille. Toute
critique ne peut être que trahison dans une situation de belligérance chronique
! Toute concession devient marche vers la capitulation.
Si l’Occident et ses «
droits-de-l’hommistes » professionnels avaient réellement la volonté de favoriser
les droits humains en Corée et dans le monde, comme ils le prétendent, ils
dénonceraient les sanctions collectives et favoriseraient la détente et la
coopération. La politique d’agression et les condamnations médiatiques
systématiques sont incompatibles avec « l’aide au développement de la
démocratie ». Étrangler un peuple le conduit à respirer mal et à se débattre !
Cette pathologie féroce,
liée au fait que le capitalisme a besoin d’ennemis, présente cependant des
avantages pour les victimes. Le peuple coréen est concrètement informé de ce
qu’ est l’impérialisme et ses tares destructives. Il a su se constituer en une
force de résistance homogène, cohérente, et il a appris à surmonter toutes les
difficultés imposées. Il est grave que les progressistes et de nombreux
communistes en Occident n’en aient pas une conscience claire, à croire qu’ils
préfèrent l’impérialisme des grands à la souveraineté des petits !
Initiative Communiste : Manœuvres militaires géantes, déploiement de missiles, de sous-marins et
porte-avions nucléaires, les États-Unis choisissent une stratégie de la tension
en Corée : est-ce exagéré de parler de menace sur la paix
mondiale ?
Robert Charvin : En permanence, depuis
des décennies, les États-Unis et leurs alliés (en particulier ceux de Séoul et
de Tokyo, mais aussi de Paris) menacent l’existence même de la Corée du Nord en
invoquant paradoxalement ses « provocations » ! La plus gigantesque armée du
monde, celle des États-Unis, est pourtant à sa porte, dotée des armes les plus
sophistiquées, y compris nucléaires. Chaque année, elle manœuvre aux frontières
avec les armées sud-coréennes et autres, mimant encerclement et attaques ! Le
peuple coréen a déjà subi les massacres, notamment sur les populations civiles,
que pratiquent les armées occidentales lorsqu’elles veulent détruire un système
ne leur convenant pas : la guerre de 1950-1952 n’est pas oubliée !
Ce sont les États-Unis
qui, bien loin de leur territoire national, provoquent tous les peuples de la
région qu’ils veulent garder ou mettre sous tutelle !
Ce sont les États-Unis qui
jouent dangereusement de leur puissance nucléaire en osant invoquer la légitime
défense. Au discours délirant de Trump s’ajoute une propagande massive et sans
nuance contre la Corée du Nord, reprise par les Européens. Certains films
américains vont jusqu’à imaginer une invasion militaire nord-coréenne du
territoire des États-Unis : le film “L’Aube rouge” , par exemple, passé
récemment sur une chaîne TV française !
En fait, cette paranoïa
anti-coréenne est totalement feinte. Elle dissimule une réalité géostratégique
de première importance pour les États-Unis : la Corée est une zone de contacts
avec la Chine, la Russie et le Japon. Le maintien de la présence militaire
américaine est jugé nécessaire aux intérêts des États-Unis. La petite Corée du
Nord est l’ennemi « utile ». Il faut entretenir sa mauvaise réputation
communiste, il faut empêcher sa réunification avec le Sud afin de conserver un
abcès de fixation justifiant l’ingérence étasunienne dans la région (notamment
les bases en Corée du Sud, à Guam, etc.). Tous les moyens sont bons pour
maintenir un état de guerre larvée empêchant un développement rapide de la
Corée du Nord, au risque de déclencher un affrontement entre les puissances.
Là encore, un regret
s’impose : certains courants progressistes, obsédés par l’électoralisme,
négligent le fait que la RPDC propose depuis toujours la dénucléarisation de
toute la région, est prête à conclure un traité de paix avec les États-Unis
garantissant sa souveraineté et à coopérer avec tous les États du monde.
Renvoyer dos à dos les parties en présence, comme cela est fait pour les
Palestiniens et les Israéliens, pour la Russie et les États-Unis, au nom d’une
paix dont on ne précise pas le contenu, c’est en fait crier avec les loups !
Initiative Communiste : En 2016 et 2017 un très important
mouvement populaire a conduit à la chute du gouvernement Park. Y a-t-il une
évolution vers une démocratisation du régime autoritaire du sud ? Les premières
annonces du nouveau président, sur la réouverture d’un dialogue direct avec la
Corée du Nord, sur le système anti-missile américain en cours de déploiement,
soufflent le chaud et le froid. N’est-ce pas le peuple coréen le principal atout
pour la paix ?
Robert Charvin : La force décisive pour
des changements positifs en Corée, c’est le peuple coréen tout entier. S’il n’y
a pas encore de bonnes relations entre le Nord et le Sud depuis la fin de la
guerre mondiale, c’est du fait des grandes puissances, en premier lieu des
États-Unis.
Lorsqu’il
se produit des changements à Séoul (comme ce fut le cas avec l’élection de Kim
Dae-jung ou récemment avec l’élimination de la présidence corrompue de Mme Park
(aujourd’hui incarcérée), le rapprochement Nord-Sud se réalise. Les médias
occidentaux sont restés très discrets sur le vaste mouvement de masse qui a
renversé à Séoul l’équipe dirigeante, grande alliée de Washington !
Malheureusement,
la nouvelle équipe qui n’est plus systématiquement hostile au Nord, reste
subordonnée aux États-Unis et sa ligne politique n’est pas encore libre.
Mais
le peuple sud-coréen, y compris les grands groupes économiques comme Hyundai,
comme le peuple du Nord, souhaite la réunification et la paix : la coréanité a
pour les deux parties plus de vertus, n’en déplaise à l’Occident, que
l’American Way of Life, importé au sud après 1949.
On
peut raisonnablement concevoir que le Nord et le Sud, malgré tous les
obstacles, trouvent la voie vers une confédération, respectueuse dans un
premier temps des deux souverainetés et des deux régimes socio-économiques,
premiers pas d’une marche vers l’unité qui ferait de la Corée une nouvelle
puissance émergente d’importance.
La
solidarité internationale, amputée aujourd’hui par la contamination des thèses
des néo-conservateurs et par les conceptions de la social-démocratie (à l’exception
de quelques cas individuels comme celui de J. Lang) qui ont envahi le courant
progressiste, doit pouvoir renaître si la lucidité l’emporte sur
l’ethnocentrisme et l’oubli de la géopolitique. La cause coréenne le mérite.